Marchés de numérisation patrimoniale : un parcours semé d’embûches
Pour un bibliothécaire, un documentaliste ou un archiviste, réaliser un marché public de numérisation patrimoniale peut, sans quelques précautions d’usage, se transformer en parcours du combattant .
La procédure a appliquer dépend à la fois des objectifs du marché, de son montant mais aussi du contexte institutionnel.
1. Prendre en compte le cadre réglementaire et institutionnel
En effet, nous agissons en bibliothèque dans un cadre réglementaire précis régit par le Code de la Commande publique. La commande doit respecter des principes intangibles comme la transparence des procédures, la liberté de consultation des documents techniques et administratifs et l’égalité de traitement des candidats répondant au marché.
Les textes qui encadrent la passation et l’exécution des marchés sont les suivants :
- ordonnance n° 2018-1074 du 26 novembre 2018 portant partie législative du code de la commande publique ;
- décret n° 2018-1075 du 3 décembre 2018 portant partie réglementaire du code de la commande publique ;
- décret n° 2019-259 du 29 mars 2019 portant modification de diverses dispositions codifiées dans la partie réglementaire du code de la commande publique ;
- arrêté du 30 mars 2021 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés publics de fournitures courantes et services (CCAG/FCS)
En bibliothèque, centre de documentation ou service d’archives, nous agissons dans un cadre institutionnel souvent plus vaste que l’établissement documentaire : l’institution de tutelle, qu’elle soit une université ou une collectivité territoriale, produit des marchés publics qui peuvent entrer dans le champ de la commande envisagée. Il faut donc s’assurer qu’un marché de numérisation de documents patrimoniaux (ouvrages, revues, archives…) n’existe pas au sein de celle ci.
Il faut distinguer la numérisation patrimoniale, qui vise à transférer un documents anciens sur support numérique avec des préconisations bien spécifiques (qualité d’image, richesse des métadonnées, reconnaissance complexe de caractères imprimés ou manuscrits anciens) de la numérisation de documents courants (factures, courriers) dans le cadre de la Gestion Électronique de Documents (GED).
A l’université, la couverture du marché est fixée par la NACRE (Nomenclature Achats Recherche Enseignement Supérieur) qui a pour objectif de vérifier la valeur des achats effectués par l’acheteur au regard des seuils prévus par le Code de la commande publique.
Un marché de numérisation patrimoniale utilisera le code NACRES CI.01 (Documentation : services de numérisation d’ouvrages et de documents). Si celui-ci n’est pas déjà utilisé par l’institution de rattachement, vous avez les mains libre pour réaliser votre marché. Sinon, il faudra se rapprocher du bénéficiaire du marché pour examiner si celui-ci peut répondre à vos besoins.
Il faudra également mentionner lors de la publication de votre marché des codes CPV qui décrivent l’objet de la procédure dans le cadre réglementaire européen. Les code CPV utilisés seront le 92510000 (Services de bibliothèques et archives) et le 72310000 (service photographique avec capture et traitement de données).
2. Sélectionner la procédure adaptée au montant de la prestation
Si aucun marché de numérisation n’est en cours au sein de la tutelle, le montant des prestations que vous souhaitez réaliser entre en ligne de compte pour le choix de la procédure. Or toute dépense au premier euro constitue un marché. Le choix de la procédure applicable est conditionné à des seuils de dépense, évaluée à l’échelle de l’institution de tutelle par période de 4 ans. Un premier seuil discriminant est constitué par un besoin d’achat inférieur à 40 000 € HT sur 4 ans. Dans ce cas :
- si le montant est inférieur à 500 € HT, aucun formalisme n’est exigé ;
- si le montant est inférieur à 10 000 € HT, il suffit de demander trois devis pour la prestation ;
- si le montant est compris entre 10 000 € HT et 15000 € HT, il faut en plus définir des critères d’attribution puis rédiger un contrat ;
- si le montant est supérieur à 15 000 € HT, il faut rédiger une description techniques des prestations (sorte de CCTP simplifié) accompagné d’une lettre de consultation (sorte de CCAP simplifié), consulter trois prestataires et rédiger un contrat.
Un second seuil discriminant, entre 40 000 € et 143 000 € pour l’État et 221 000 € HT pour les collectivités territoriales permet de passer par une procédure adaptée, le MAPA, qui laisse à chaque acheteur public la possibilité d’instituer ses propres conditions de réalisation de sa consultation en respectant les règles de base du Code de la commande publique mentionnée ci-dessus.
Si le montant de la prestation de numérisation dépasse les seuils du MAPA, il faut alors passer par une procédure formalisée (soit l’appel d’offre, soit le dialogue compétitif, soit la procédure avec négociation) beaucoup plus contraignante, comprenant notamment une publicité obligatoire au BOAMP et au JOUE.
3. Choisir un type de marché en fonction des besoins
Le bibliothécaire, documentaliste ou archiviste qui souhaite numériser ses fonds patrimoniaux devra également choisir un type de marché en fonction du besoin exprimé :
- Le marché ordinaire de fourniture et de services, contrat qui définit les prestation de façon qualitative et quantitative avec des prix forfaitaires.
- L’accord-cadre (AC) d’une durée maximale de 4 ans à bons de commande (BdC) ou à marchés subséquents (MS) : dans ce cas dernier cas, les titulaires de chaque lot seront remis en concurrence pour chaque train documentaire envoyé en numérisation : il faudra produite un mémoire technique, demander des devis aux titulaires et juger les offres.
Un marché à accord cadre permet de remettre en concurrence des titulaires afin d’éviter les problèmes souvent rencontrés avec les prestataires de numérisation : prestations très performantes en début de marché, se dégradant peu à peu au fil du temps. Les prix mentionnés dans le BPP (Bordereau des prix plafond) sont alors des prix maximum, la remise en concurrence permettant (en principe) de faire baisser le prix des prestations. Mais il s’agit d’une procédure contraignante pour les deux parties.
La plupart des marchés de numérisation utilise le marché ordinaire avec prix unitaires ou forfaitaires fermes pour la durée du marché.
4. Allotir son marché de numérisation
Il est possible de fractionn le marché en différents lots de moindre importance pour rester dans les seuils du MAPA en respectant la règle des « petits lots » inférieur chacun à 80000 e HT. Pour un marché de numérisation, cet allotissement peut être lié au caractéristiques du support à numériser : lot 1 documents reliés, lot 2 documents sonores, lot 3 documents non reliés (estampes, archives…). Pour rappel, chaque lot constitue un marché en soi et peut donc être organisé de façon particulière en fonction des besoins exprimés pour chaque support documentaire à numériser.
Enfin, l’allotissement par localisation (dans le cas de fonds appartenant à plusieurs bibliothèques ou centres d’archives) est une solution efficace permettant d’envisager au niveau de l’administration de tutelle la passation d’un marché de numérisation prenant en compte la diversité des cas de figure. Mais il faudra alors prévoir en amont de la rédaction du marché des réunions de concertation avec les différents établissements documentaires du réseau.
5. Constituer un dossier technique et administratif
Que ce soit dans le cadre d’une procédure adaptée ou formalisée, les documents du marché sont regroupés dans un dossier de consultation (DCE) contenant les documents suivants :
- un Règlement de consultation (RC);
- un Cahier des clauses administratives particulières (CCAP);
- un Cahier des clauses techniques particulières (CCTP);
- un AE (acte d’engagement) formalisant la conclusion du marché de numérisation.
Il contient également des documents techniques et financiers à remplir par les candidats pour chaque lot :
- un BPU (Bordereau des prix unitaires) ou un BPP (Bordereau des prix plafond);
- un DQE (Détail Quantitatif Estimatif) non contractuel, permettant la comparaison des prix entre candidats;
- un CMT (cadre de mémoire technique) ou CRT (cadre de réponse technique), trame de réponse destinée à faciliter la rédaction des offres par les candidats;
- un Bordereau des délais plafonds permettant de formaliser les délais de chaque étape de la chaine de numérisation.
6. Rédiger le Cahier des clauses administratives particulières
La rédaction du CCAP ne pose pas de problème majeur car ce type de document administratif est relativement standardisé. Voici un exemple de structure de CCAP pour un marché de numérisation.
Article 1 - objet et durée du marche Article 2 – documents contractuels Article 3 - conditions de livraison ou d'exécution • emballage • transport • mode de livraison • lieux d'exécution • émission des bons de commande • les personnes habilitées à signer les bons de commande Article 5- délais d’exécution et de livraison • admission • rejet Article 6 - garantie et assurances Article 7 - retenue de garantie Article 8 - modalités de détermination des prix Article 9 - avance forfaitaire Article 11 - acomptes, paiements partiels et definitifs Article 12 - modalités de paiement • établissement de la facture • mode de règlement • présentation des demandes de paiement Article 13 - pénalités de retard Article 14 - dérogations aux documents généraux Article 15 - loi applicable Article 16 - dispositions particulières • confidentialité et non-usage • respect des normes • respect de la propriété • respect du code du travail • litiges • résiliation
7. Rédiger le Cahier des clauses techniques particulières
La rédaction du CCTP est plus délicate que celle du CCAP car elle doit s’appuyer sur une analyse fine des besoins de numérisation et des livrables attendus.
Un premier exemple de CCTP assez simple débute sur la définition des besoins (article 1 et 2) pour poursuivre sur le détail technique de la prestation de numérisation (article 3)
ARTICLE I Objet de la prestation à fournir • Nature du marché • Phasage du projet ARTICLE II Définition de la prestation 1 Implantation concernée 2 Présentation des fonds et traitements demandés • Objectifs de la numérisation • Gestion physique des trains et des documents 2.3 Numérisation • Conditions de stockage, de manipulation et de conservation de documents • Spécifications de numérisation • Fichiers produits • Océrisation • Saisies des correspondances • Rythmes et modes de livraisons • Contrôles de production par le titulaire • Contrôles de réception par la bibliothèque • Encadrement et suivi des prestations
Le CCTP peut être plus détaillé, notamment concernant le déroulement de la prestation et les préconisations de numérisation. Voici un second exemple de structure de CCTP :
ARTICLE I • Présentation générale du marché • Contexte et objectifs • Organisation du projet ARTICLE 2 Description de la prestation • Description des documents à numériser • Décomposition de la prestation en sous-ensembles • Organisation des trains de numérisation ARTICLE 3- Déroulement de la prestation et délais d’exécution • Conditionnement et préparation des documents • Stockage et manipulation des documents • Fichiers de récolement • Tests ARTICLE 4 Calendrier prévisionnel pour un train type ARTICLE 5- Spécification des traitements demandés • Numérisation • Traitement des images • Fichiers de consultation • Vignettes • Nommage des fichiers • Documentation du projet • Rapports de production • Métadonnées et tables de concordance • Fourniture des livrables et organisation des répertoires ARTICLE 6- Contrôle qualité • Contrôle qualité assuré par le prestataire • Contrôle qualité assuré par la bibliothèque ARTICLE 7- Facturation ARTICLE 8- Méthodologie et suivi du projet ARTICLE 9- Propriété intellectuelle ARTICLE 10- Conservation des fichiers
8. En conclusion
La réalisation d’un marché de numérisation, depuis sa conception jusqu’à sa mise en œuvre avec le prestataire choisi, est longue et complexe. Le bibliothécaire, documentaliste ou archiviste souhaitant numériser ses fonds documentaires doit s’appuyer aussi bien sur l’expertise des juristes et acheteurs de l’administration de tutelle que sur l’expérience développée par ses pairs dans d’autres établissements. Si ponctuellement une opération de numérisation doit être programmée dans l’urgence, il est toujours possible d’établir un certificat d’achat hors marché. Cependant, celle-ci reste exceptionnelle et doit être validée la direction générale des services de l’administration de tutelle…