A la recherche des manuels numériques universitaires…

Mn-300x211Dix-huit ans après le rapport de Dominique Borne « Le manuel scolaire » et surtout cinq ans après celui d’Alain Séré «Le manuel scolaire à l’heure du numérique », qui proposaient pour l’enseignement secondaire un plan stratégique et opérationnel de développement sur six axes, où en est-on du développement des manuels universitaires numériques ?

Ce sujet a été abordé au Salon du livre, lors de conférences organisées au sein de l’’espace Savoir & connaissances, dédié « aux acteurs qui produisent, éditent et diffusent des contenus dans l’enseignement supérieur ». Mais tout d’abord, une première table ronde, animée par Karine Papillaud, journaliste au Point, portait sur les évolutions de la chaine du livre universitaire, notamment sous l’influence du numérique. Elle a rassemblé Emmanuelle Corne (éditrice de sciences humaines et sociales aux éditions de la Maison des sciences de l’homme), Jean-Christophe Peyssard (responsable du pôle freemium de OpenEdition), Michel Zumkir (directeur du service Diffusion de la Fondation de la Maison des sciences de l’homme).

Constat n°1 : la dématérialisation de la chaine du livre universitaire est maintenant complète

Avec la dématérialisation des supports de création, la chaîne du livre est devenue encore plus collaborative :

  • Pour les éditeurs, le livre est devenu un jeu de données numériques, déclinable suivant les stratégies commerciales, en support imprimé ou électronique avec des variations de format possibles (epub, html, pdf). La production multicanale est plus onéreuse que le circuit classique par impression : pour réduire les coûts, de nombreux éditeurs rationalisent le circuit de production : saisie unique du texte, choix de logiciels gratuits pour le formatage…
  • Les diffuseurs et distributeurs s’adaptent à cette nouvelle donne qui impose notamment, pour le livre imprimé, des délais de livraison raccourcis et la possibilité de commander des ouvrages épuisés en impression à la demande.

Dans le domaine universitaire, Michel Zumkir (MSH Paris) souligne que les chercheurs notamment dans le domaine scientifique, privilégient l’information numérique : recherche d’article dans les bases de données, étude de corpus numériques dans le cadre des Digital Humanities. Certains projets éditoriaux scientifiques sont plus pertinents lorsqu’ils sont mis à disposition nativement sous forme électronique : c’est par exemple le cas des corpus ethnomusicologiques qui pourraient difficilement être étudiés autrement. Les éditeurs universitaires peuvent s’appuyer sur l’expertise d’Huma-Num, TGIR (très grande infrastructure de recherche) visant à faciliter le tournant numérique de la recherche en Sciences humaines et sociales. Ainsi dans le projet 88milSMS, 88000 SMS en français sont anonymisés et transcodés en français standard par un logiciel, Seek&Hide, pour être ensuite analysés par les chercheurs.

Les bibliothèques universitaires se modernisent en offrant un accès étendu aux périodiques électroniques ; cette évolution se fait le plus souvent au détriment de la politique documentaire (difficulté à constituer sur les plateformes numériques des sélections au titre à titre).

Constat n°2 : malgré cela , les manuels numériques à destination du premier cycle universitaire sont peu nombreux.

Une seconde table ronde au Salon du livre s’est penchée sur l’analyse de l’offre de manuels numériques et les moyens de la développer. Elle a rassemblé Michel Marian (Sous-directeur du pilotage stratégique et des territoires au MENESR), François Gèze (président du groupe universitaire du SNE), Hélène Josse (directrice-adjointe du laboratoire SeSyLiA Paris3), Christophe Péralès (président de l’ADBU), Sébastien Respingue-Perrin (responsable de la cellule Ebooks Couperin), Delphine Merrien (chargée de l’Observatoire numérique de l’enseignement supérieur), Pierre Carbone (responsable de la commission interministérielle « Bibliothèques numériques »).

On constate ces cinq dernières années une baisse globale de 30% des crédits d’achats de livres dans les bibliothèques universitaires. Cet effondrement est en partie dû à la réorientation des budgets vers les dépenses d’acquisition de ressources numériques ; mais cette nouvelle répartition financière s’effectue essentiellement en faveur des périodiques électroniques.

Concernant les manuels numériques, la pauvreté de l’offre est en cause : il en existe peu destinés aux étudiants de licence. Ainsi, comment favoriser l’émergence de ce marché, notamment dans les « discipline à manuel » que sont le Droit ou la Médecine ? Plusieurs enquêtes ont été réalisées par les partenaires institutionnels pour déterminer les conditions nécessaires au développement d’une offre conséquente :

Les intervenants présents au salon du livre ont mentionné les principaux points de ces études :

  • Hélène Josse insiste sur le fait que les enseignants n’ont pas été formés à la pédagogie numérique : elle-même a bénéficié d’une demi-journée de mise à niveau TICE durant toute sa carrière. Il serait nécessaire de développer l’offre des Urfist en nouvelles technologies pédagogiques. D’autant que peu de salles de classe sont équipés et que ces équipements tels les tableaux blanc interactifs ne correspondent pas toujours aux besoins universitaires.
  • Christophe Péralès met l’accent sur l’évolution des usages : les bibliothèques universitaires étaient fréquentées au siècle dernier pour leur collection, les fonctions de prêt étant très développées. Actuellement, les étudiants achètent les manuels importants pour leurs études et réservent leur demande de consultation en bibliothèque aux manuels moins importants.
  • Sébastien Respingue-Perrin insiste sur la différence existant entre le manuel scolaire, une ressource pédagogique encadrée par des programmes, et le manuel universitaire, dont le contenu est prescriptif (proposé par des enseignants) et s’adressant à un public plus restreint : les éditeurs craignent de ce point de vue la cannibalisation des ventes aux étudiants ; ils ne développent donc pas une offre numérique suffisamment pertinente et à jour.
  • Michel Marian évoque un paradoxe : selon une étude de l’Observatoire de la Vie étudiante, 95% des étudiants possèdent un ordinateur portable, mais seulement 5% utilisent des manuels numériques ; les étudiants sont immergés dans la culture numérique mais la pratique de lecture universitaire reste focalisée sur l’imprimé. Les raisons de ce mésusage sont multiples : faiblesse de l’offre d’ebooks, déficit de prescription par les enseignants, méthodes pédagogiques obsolètes, fondées sur la transmission verticale de savoirs par le biais du cours magistral.
  • Si la méthode du cours magistrale est problématique, la pédagogie inversée développée dans les pays anglo-saxons permettrait de mieux intégrer l’étude des textes dans l’enseignement. Il s’agit d’une méthode collaborative de co-construction des savoirs, qui suppose que l’étudiant ait travaillé un texte avant le cours, l’échange avec l’enseignant portant sur l’ouvrage lu (cf. Université : le top 10 des pédagogies innovantes).
  • Le manuel numérique, sous réserve qu’il soit suffisamment adapté aux objectifs particuliers d’un enseignement, peut éventuellement remplacer le cours magistral, l’effort des enseignants se déplaçant sur les travaux dirigés. Ainsi, Hélène Josse annonce avoir supprimé les cours magistraux (qui restent disponibles en téléchargement sur Moodle) pour privilégier les configurations pédagogiques permettant une meilleure interaction enseignant-étudiants.

Constat n°3 : les solutions pour développer l’offre de manuels numériques universitaires sont encore embryonnaires…

Hélène Josse a proposé des pistes pour l’élaboration des contenus, suffisamment génériques pour servir à un maximum d’enseignants. Elle a ensuite défini les caractéristiques indispensables à tout bon e-manuel qui devrait :

  • permettre une bonne navigabilité avec un sommaire interactif ;
  • être transportable et consultable en mobilité, à la bibliothèque, dans les transports, chez soi ;
  • être personnalisable et permettre la prise de note ;
  • Intégrer des documents multimédias, des vidéos (notamment en medecine et chirurgie).

Les éditeurs doivent offrir aux bibliothèques universitaires un mode d’achat simple et pérenne. Ils proposent actuellement soit l’accès par abonnement à une bibliothèque en ligne (NoToBib De Boeck Supérieur), soit le téléchargement d’une version numérique verrouillée par DRM. Pierson propose par exemple de consulter la version numérique du manuel selon deux formats propriétaires : le format eText, qui donne accès à la version enrichie du manuel, et le format VitalBook, qui permet d’annoter le manuel numérique. Ces fonctionnalités sont disponibles pendant 1 à 3 ans grâce à un code d’accès fourni au moment de l’achat de la version imprimée.

François Gèze note que les offres de manuels en SHS (le DSCG sur Cyberlibris par exemple) sont proposées par des plateformes généralistes qui ne permettent pas toujours le signalement au titre à titre. Il faudrait pouvoir mieux les signaler dans les catalogues de bibliothèque.

Concluant les débats, Michel Marian constate que l’offre de manuel numérique est encore embryonnaire, tandis que le modèle permettant son développement n’est pas encore fixé. Il souhaite que les acteurs universitaires s’emparent eux-mêmes du sujet ; il salue ainsi l’initiative ADBU/Couperin qui étudie la possibilité de mettre en ligne sur Openclassroom, une plateforme de cours gratuits, des supports pédagogiques qui pourraient ensuite être éditorialisés sous forme de manuels téléchargeables par les étudiants. Les enseignants et ingénieurs TICE pourraient peut-être s’aider du Guide de conception et d’utilisation du manuel numérique universitaire mis à disposition de tous par les Presses universitaires du Québec. Cette initiative sera t-elle suffisante pour stimuler le marché atone des manuels numériques universitaires ?

Pour aller plus loin, une bibliographie proposée par Eduscol :

http://eduscol.education.fr/numerique/dossier/lectures/manuel/bibliographie/universite

 

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