Les vidéos juridiques, nouveau support de doctrine ?

moocsLes vidéos juridiques peuvent-elles constituer un nouveau support pour la doctrine ? Les « Rencontres avec… » organisées en juin par l’association Juriconnexion au cabinet Clifford Chance ont permis d’explorer cette thématique ambitieuse et novatrice. Elle concerne aussi bien les enseignants et universités, que les éditeurs juridiques ou les sites publiques d‘information des droits des citoyens.

Mais existe-t-il réellement des points communs entre les vidéos juridiques produites par ces organisations aux intérêts parfois divergents ?

1.     Les vidéos de cours en ligne

L’infobésité juridique oblige à une mise à jour continue des connaissances des usagers et des praticiens du Droit : la doctrine ne peut plus être uniquement communiquée sous sous forme d’articles de revues.

1.1.  Le Mooc « Droit des entreprises » de l’université Paris 1

La première intervention dessine en creux une politique possible des universités en cette matière. Bruno Dondero, est professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et directeur du CAVEJ, le Centre audiovisuel d’études juridiques des Universités de Paris. Il a conçu le premier MOOC sur ledroit des entreprises, qui est aussi le premier cours en ligne ouvert à tous produit par son université de rattachement. Le Moocporte sur les règles régissant le fonctionnement des principales structures juridiques des entreprises (SARL, EURL, SAS, SA, etc.). Il est réalisé en collaboration avec huit experts du domaine, notamment des avocats et un expert-comptable, la présence de regards croisés permettant de multiplier les retours d’expérience. L’inscription s’effectue par le biais de la plateforme deFrance université numérique. Le dispositif technique propose, à travers un séquençage en six semaines de courtes séquences vidéos, des documents écrits (textes légaux et réglementaires, jurisprudence, extraits d’ouvrages, etc.), des hangouts. Chaque fin de semaine, un questionnaire d’auto-évaluation permet aux étudiants de faire le point sur leurs acquis.

1.2.  Un défi technique et pédagogique

Cette première expérience est pour Bruno Dondero riches d’enseignements, tant techniques que pédagogiques. L’utilisation de la vidéo permet d’optimiser les activités d’enseignement en diffusant rapidement une information actualisée et fiable hors des salles de cours, élargissant ainsi la communauté des auditeurs.

Les avantages sont :

  • un gain économique (salles, temps)
  • une meilleure utilisation du temps du professeur
  • une meilleure visibilité du cours (ce qui peut être un facteur d’inquiétude ou de stress pour certains enseignants qui se trouvent ainsi mis en concurrence).

Techniquement, il semble important de prévoir des versions écrites portant sur le contenu des vidéos, de bien préparer les intervenants aux contraintes de l’enregistrement (positionnement du corps et de la voix), de multiplier les directs et hangout pour une meilleure interactivité avec les étudiants. L’enregistrement des vidéos doit être de très bonne qualité. Il faudra également prévoir la possibilité de consultation en mobilité.

Plus largement, l’introduction du support vidéo peut remettre en question la manière d’enseigner : faut-il délivrer une partie des enseignements magistraux en vidéo afin de dégager du temps pour la rencontre avec les étudiants en groupe restreint ? Comment faire évoluer le métier d’enseignant en fonction des technologies malgré les réticences de certains ? Quel modèle économique mettre en place, sachant que se développe aux Etats-Unis un modèle fondé sur la gratuité du cours en ligne et le paiement de la certification ?

Alors que certains prophétisent une possible ruine des universités par les Moocs (lire à ce sujet l’excellent article sur Hypothèses de deux chercheurs de l’ENS Caroline Jouneau-Sion et Chloé Manceau (ENS-Lyon), d’autres s’attachent à valoriser la promesse d’un enseignement de qualité ouvert à tous…

2.     Les vidéos d’éditeurs juridiques

Les vidéos d’éditeurs sont à la fois très commerciales et peu nombreuses même si certains d’entre eux tendent à diversifier leur production.

2.1.  LexisNexis

Ainsi, LexisNexis met à la disposition de ses clients trois types de contenus : des tutoriels d’aide à l’utilisation de bases de données, des compléments aux articles de revues, des dossiers multimédias thématiques.

2.1.1.     Les vidéos de formation

Les tutoriels Jurisclasseur sont disponibles dans l’aide de la base de données et sur le site de l’éditeur. Elles sont conçues pour pouvoir être visionnées indépendamment les unes des autres. Chacune reprend une étape de recherche ou d’utilisation de la base Juriclasseur avec un objectif pédagogique précis :

  • Le choix des sources
    – Identifier les différentes façons de choisir ses sources
    – Combiner plusieurs sources
    – Restreindre le nombre de résultats par la date
  • La recherche sur l’onglet Encyclopédie
    – Parcourir la bibliothèque virtuelle des encyclopédies
    – Sélectionner la ou les encyclopédies utiles à vos recherches
    – Choisir le type de document recherché
    – Rechercher sur le titre des encyclopédies
2.1.2.     Une application mobile, LegalTag

Cette application mobile permet aux lecteurs de la Semaine Juridique-édition générale d’accéder à des contenus vidéo complémentaires aux articles. Les vidéos permettent à un expert d’explorer une notion juridique, le « Mot de la semaine » :

  • Mot de la semaine « Ministère public »  Lutte contre la corruption : vers une privatisation de l’action publique ? par BRUNO QUENTIN, avocat à la cour, associé du cabinet Gide Loyrette Nouel, expert du Club des juristes. Voir la vidéo : Ministère public
  • Mot de la semaine « Adoption »  Rien de très nouveau sous le soleil de Christiane Taubira  par Jacques-Henri Robert, professeur émérite de l’université Panthéon-Assas, expert du Club des juristes. Voir la vidéo : Adoption
  • Mot de la semaine « Autojuridiction »  Comment et pourquoi les justiciables se passent de plus en plus des professionnels du droit  par Nicolas Molfessis, professeur à l’université Panthéon-Assas. Voir la vidéo : Autojuridiction
  • Mot de la semaine « Droit comparé » De l’intérêt de faire vivre le droit comparé
    par BERNARD STIRN, président de section au Conseil d’État, professeur associé à l’Institut d’études politiques de Paris, membre du Club des juristes. Voir la vidéo : Droit comparé
2.1.3.     Un e-mag, Tendance droit

Cet e-mag annuel décrypte les grandes tendances de l’évolution des professions du droit et du chiffre. Les synthèses, les chiffres-clés, les entretiens sont classés par profession (avocat, huissier de justice, etc.). Trois numéros sont déjà parus qui contiennent une quinzaine de vidéos juridiques (on les retrouve sur la Chaine YouTube tendance Droit de LexiNexis) :

2.2.  Les éditions Francis Lefebvre :

2.2.1.     Une web TV

Les EFL ont choisi de développer une chaine web TV comprenant 54 vidéos déjà réalisées, dont la production semble s’être interrompue en 2014. Les vidéos portent sur l’actualité juridique, avec des interviews de juristes praticiens. A noter que les didacticiels de produits EFL sont considérés comme des vidéos et intégrés à la web TV.

2.2.2.     L’influence du marketing

Cette web TV est inscrite au manifeste de marque, bénéficiant ainsi d’une reconnaissance dans la stratégie de communication du groupe. On peut cependant s’interroger sur la validité de cette inscription car la chaine ne propose pas de vidéos en 2014.

2.3.  Le modèle éditorial des vidéos commerciales

Des questions spécifiques se posent aux éditeurs concernant :

  • le modèle éditorial : faut-il créer un média indépendant des revues papier ou bien agir en complémentarité ?
  • le modèle scientifique : faut-il s’appuyer sur l’expertise des enseignants ou au contraire celle des praticiens du droit
  • le modèle économique : la réalisation d’une vidéo juridique coûte cher : comment la financer ?
  • la politique de communication : faut-il mettre les vidéos sur le site de l’éditeur, celui de la revue ou créer un site indépendant ?
  • le public visé : s’agit il des clients et/ou des prospects ? Universitaires ou praticiens ?

3.     Les vidéos pédagogiques

Lors de la rencontre, Thomas Saint-Aubin, responsable du Pôle Stratégie à la DIL, a exposé plusieurs produits pédagogiques institutionnels dont il a piloté la réalisation.

3.1.  Justimemo :

Le site Justimemo est une plateforme multimédia permettant de mieux connaître et de comprendre le fonctionnement de la justice française. Elle rassemble les données publiques produites et détenues par le ministère de la Justice, susceptibles de présenter un intérêt pédagogique. Ces informations sont valorisées par le biais de cinq thèmes : la justice aujourd’hui ; les acteurs ; les structures ; organisation et fonctionnement ; histoire et patrimoine.

Justimemo s’adresse donc :

  • à tous ceux qui veulent connaître et comprendre la justice française ;
  • aux enseignants qui peuvent sélectionner certaines parties du site (fiches mémos, vidéos) et les utiliser à des fins pédagogiques ;
  • aux juristes, qui disposent ainsi d’interviews ou de vidéos sur les grands sujets juridiques ;
  • aux professionnels de la Justice qui bénéficient de contenus plurimédia en supports de formation continue ou de conférence.

Le site permet de personnaliser l’expérience web sans la création de compte personnel (sans doute par reconnaissance d’adresse IP ?) : il donne accès à une liste de fiches favorites que l’internaute peut ensuite partager sur internet. Il comporte également un glossaire juridique.

3.2.  Justirama :

Justirama peut être défini comme une thématique du site du ministère de la Justice sous laquelle est classée un ensemble d’animations pédagogiques constituées de diaporamas multimédias. Chaque diaporama sous Prezi explore un sujet par l’image, la vidéo et le texte. Un texte associé permet de le commenter étape par étape. Il peut être lu depuis sa page Web ou téléchargé avec son commentaire et un mode d’emploi.

3.3.  Les archives audiovisuelles de la Justice

Les captations audiovisuelles des grands procès ont été constituées dans le cadre de la loi du 11 juillet 1985. Elles portent sur les enregistrements et transcriptions des audiences des procès de Klaus Barbie (1987), du sang contaminé (1992-1993), de Paul Touvier (1994), de Maurice Papon (1997-1998), du « procès AZF » (2009), du procès de la dictature chilienne (2010) ; Quelques audiences des procès d’assises ont été enregistrées : Koïnde (1986), Hienghène (1987).

3.4.  Les colloques juridiques sur Vimeo

Quelques colloques ont été mis en ligne par des institutions : c’est le cas du Conseil d’Etat qui a créé sa chaine Vimeo sur laquelle il est possible de visionner le cycle de conférence de cette institution pour la période 2013-2015 (cf ; le colloque Où va l’État ?). Le Conseil d’Etat a ajouté des vidéos de colloque sur le thème de la gestion de l’Etat : Les écoles de formation administrative; la décentralisation des politiques sociales, la Convention des Droits de l’Homme, etc.

4.     Les normes techniques

Les caractéristiques techniques spécifiques de réalisation d’un site comportant des vidéos sont décrites par Louise Millet, Chargée de développement de l’information au pôle information des collectivités territoriales de la Caisse des Dépôts dans sa présentation à Iexpo 2012 « Anticiper les risques dans un projet de plateforme audiovisuelle 2.0 ».

Pour la diffusion d’une vidéo institutionnelle, il faut être particulièrement vigilant à bien respecter deux points :

  • L’attribution d’un numéro ISAN (International Standard Audiovisual Number) est le numéro unique et permanent d’immatriculation des œuvres audiovisuelles suivant la norme ISO n° 15706-1 (2002) et 15706-2 (2007).
    • Sur demande du producteur, ISAN est attribué à chaque œuvre audiovisuelle, quelle que soit sa nature et son stade de production.
  • La protection du droit d’auteur est un élément important à prendre en compte, notamment dans le cadre de la mise à disposition sur les réseaux sociaux.
    • YouTube propose le dépôt par Content ID, outil qui aide les titulaires de droits d’auteur à identifier et gérer leur contenu. Les vidéos mises en ligne sont alors protégées par leur inscription dans la base de données de YouTube : elles ne peuvent pas être à nouveau déposées sous un autre nom. Ce système permet d’identifier les propriétaires auxquels seront reversées d’éventuels royalties publicitaires.
    • Dailymotion a intégré en 2008 la technologie Signature, développée par l’Institut National de l’Audiovisuel (INA), qui repose sur la reconnaissance d’empreintes numériques vidéo. Tout contenu préalablement protégé et signé dans la base de données INA sera alors automatiquement détecté et rejeté avant sa mise en ligne.
    • Viméo fait confiance à l’internaute en fondant son partage de contenu sur les licences Creatives Commons.

5.     Pour conclure :

La vidéo juridique doit tenir compte d’une contrainte spécifique, liée à la matière juridique : le droit étant un domaine en perpétuel évolution, l’information présente dans les vidéos peut devenir rapidement caduque.

La production de contenus d’actualité, comme l’enregistrement de conférences ou la mise en ligne de reportages et d’interviews sur une web TV, nécessite un effort constant de renouvellement sous peine de décevoir les spectateurs. Or il n’existe pas encore à l’heure actuelle un marché de professionnels du droit acceptant d’acheter ces productions vidéo.

A l’inverse, la captation de procès constitue une archive dont les conditions de diffusion sont strictement encadrées par les articles L222 du Code du patrimoine. Entre ces deux catégories de vidéos juridiques se situe le multimédia au service de la pédagogie, que ce soit dans le cadre d’un site institutionnel comme Justimemeo ou de Moocs juridiques produits par un nombre croissant d’universités (cf. les Moocs de l’université Paris2 Panthéon-Assas sur FUN) : ce type de production de contenus généralistes ou spécialisés pourrait se développer car il s’adresse au plus grand nombre, élèves, étudiants ou usagers de la justice.

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